RÉSEAU QUÉBÉCOIS
SUR L’INTÉGRATION CONTINENTALE

Lettre d’opinion sur l’entente de principe de l’Accord Canada-UE

lundi 28 octobre 2013 par Pierre-Yves

Une version abrégée de ce texte est disponible dans LE DEVOIR du lundi, 28 octobre 2013, ainsi que dans LA PRESSE du mardi, 29 octobre 2013 (cliquer sur les liens pour y accéder).

UN DÉBAT DÉMOCRATIQUE EST NÉCESSAIRE

Les élections fédérales de 1988 semblent tellement loin aujourd’hui que nous avons oublié qu’elles avaient porté essentiellement sur la signature de l’Accord de libre-échange Canada – États-Unis (ALÉ). Est-il révolu ce temps où la signature d’un accord international de cette ampleur constituait un enjeu de société majeur ? C’est ce que les gouvernements Harper et Marois voudraient nous faire croire alors que l’Accord économique et commercial global (AÉCG) entre le Canada et l’Union européenne (UE) est l’accord ayant la plus grande portée politique et économique que nous ayons envisagé depuis ce fameux ALÉ.

Mais la population canadienne et québécoise n’en sait pas grand-chose et nos gouvernements ne semblent pas vouloir qu’elle en sache plus, ni qu’elle puisse en débattre de manière informée. Le profond secret entourant cet accord est inacceptable et il est, malheureusement, proportionnel aux efforts de propagande du gouvernement Harper. Le 18 octobre, en signant une entente de principe, Stephen Harper et le président de la Commission européenne José Manuel Barroso n’avaient rien d’autre à offrir que deux brefs paragraphes de louanges et aucun texte finalisé.

C’est pourquoi nous nous levons aujourd’hui pour demander le respect d’un minimum de démocratie. Nous demandons que le texte de l’AÉCG soit rendu public et accessible au débat parlementaire dès maintenant. Nous demandons que les règles d’adoption des accords commerciaux internationaux, trop contraignantes et anti-démocratiques, soient modifiées afin de permettre un débat de société sur les différents éléments de cet accord. Un dépôt de vingt et un jours au parlement canadien sans possibilité d’amendements, et deux heures à l’Assemblée nationale du Québec, sont nettement insuffisants.

Le gouvernement Harper parle des négociations les plus transparentes jamais vues, mais si ce n’était de certains textes coulés, nous n’en saurions à peu près rien. Et c’est une autre fuite, cette fois ébruitée de façon stratégique par le négociateur Pierre-Marc Johnson lui-même pour soutirer au fédéral une vague promesse de compensation, qui nous a permis d’apprendre que les producteurs fromagers du Québec seraient les premières victimes des tractations de dernière minute, et que par ricochet l’un des piliers du système de gestion de l’offre serait ébranlé par une importation massive de fromages européens.

Ouvrir des portes ouvertes

Les avantages de l’accord sont loin d’être évidents. D’une part, depuis 1994, les entreprises canadiennes ont déjà accès aux marchés publics sous-nationaux européens grâce à l’Accord plurilatéral sur les marchés publics (AMP) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), « dans les mêmes conditions que les entreprises européennes » précisait le Commissaire européen au commerce Karel De Gucht en 2012. D’autre part, après pondération selon les échanges, les produits canadiens faisaient l’objet en 2007 d’un tarif moyen de 2,2 % à l’accès au marché de l’UE. Les documents du gouvernement fédéral qui vantent l’élimination de 98 % des tarifs douaniers déforment la réalité et cachent des gains bien minces.

C’est dans ce cadre qu’il faut considérer l’ouverture de nos propres marchés publics : on les ouvre aux Européens qui eux ne concèdent rien en retour, une concession majeure faite par nos gouvernements dans ces négociations. L’ouverture de 80% de nos marchés publics municipaux et provinciaux, incluant près de la moitié des contrats d’Hydro-Québec, fleuron de l’économie québécoise, devront « faire l’objet d’appel d’offres auxquels pourraient participer des entreprises européennes », nous apprend Le Devoir du 22 octobre, qui souligne aussi que cela s’applique aux contrats de produits et services, de services publics et d’infrastructure.

Le gouvernement du Québec doit expliquer à la population québécoise si une telle ouverture des marchés publics ne nous prive pas d’importants leviers de développement économique local. En effet, il deviendra « impossible, pour une province ou une municipalité, de favoriser les entreprises nationales, les entreprises dont les actionnaires sont des nationaux ou les entreprises faisant affaire localement », avançait un RAPPORT DE L’IREC en janvier 2011.

Il sera également difficile d’orienter les investissements étrangers en fonction d’objectifs environnementaux ou de création d’emplois de qualité, sous peine d’être poursuivis par les multinationales devant des tribunaux internationaux non imputables. Compte tenu que l’AÉCG reconduit les mesures controversées de protection des investissements de l’ALÉNA, nous sommes d’avis qu’il accordera des droits excessifs aux entreprises européennes qui pourront contester les politiques d’intérêt public sous prétexte qu’elles portent atteinte à leurs "droits" de faire des profits. L’actuelle poursuite de l’entreprise LONE PINE RESOURCES pour 250 millions $ contre le moratoire du Québec sur les gaz de schiste illustre bien ce danger.

Santé exclue ?

L’une des rares choses que les gouvernements ont osé confirmer sans subterfuges est le prolongement de la durée de protection des brevets pharmaceutiques. Cette mesure va entraîner une hausse du prix des médicaments pour le système de santé du Québec de l’ordre de 773 millions de dollars par an selon l’Association canadienne du médicament générique, alors qu’ici on paie près de 30 % de plus que la moyenne des pays de l’OCDE pour nos médicaments.

Outre le fardeau de cette concession sur le dos des personnes malades, le gouvernement fédéral nous indique que les soins de santé, l’éducation publique et d’autres services sociaux sont exclus du champ d’application de l’accord. Or, comment le gouvernement définit-il ces services et dans quelles conditions garantit-on leur exclusion ? Selon l’OMC, les « services fournis dans l’exercice du pouvoir gouvernemental » sont protégés mais uniquement s’ils ne sont pas offerts en concurrence avec d’autres fournisseurs ni sur une base commerciale. Dans le contexte québécois, où par exemple le système de santé public est de plus en plus en concurrence avec des établissements de médecine privée, est-ce que l’AÉCG ne favoriserait pas l’accroissement de ces services privés au détriment du secteur public plutôt que l’inverse ?

Transparence et débat public

Clairement, on ne nous a pas encore donné l’heure juste concernant l’AÉCG entre le Canada et l’UE. Les concessions s’annoncent importantes et il est inquiétant de constater que la stratégie des provinces est désormais de continuer à négocier avec les Européens en demandant des compensations à un gouvernement conservateur qui entretient les pires relations fédérales-provinciales de l’histoire du pays. Chose certaine, les textes doivent être rendus publics au plus vite et un véritable débat public à la hauteur des enjeux doit s’engager.

Pour le moment, à voir Stephen Harper déployer ses ministres aux quatre coins du Canada pour vendre cet accord dont le texte reste secret, nous avons l’impression qu’il reprend la stratégie d’un certain Brian Mulroney, révélée par Murray Dobbin dans La grande fumisterie : « La stratégie [relative à l’Accord de libre-échange avec les États-Unis] devrait moins viser à renseigner la population qu’à lui donner l’impression qu’il s’agit d’une bonne initiative. Autrement dit, il faut lui vendre l’idée. Il est probable que plus on exposera cette question au grand jour, plus la population s’y opposera. Grâce à un programme de communication bien exécuté, on peut réussir à entretenir une indifférence salutaire de la part de la majorité des Canadiens. »

*Pierre-Yves Serinet, coordonnateur du Réseau québécois sur l’intégration continentale (RQIC)
*Michel Lambert, directeur général d’Alternatives
*Carolle Dubé, présidente de l’Alliance du Personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS)
*Dominique Bernier, AmiEs de la Terre de Québec
*Denis Labelle, président de l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI)
*Claude Vaillancourt, président d’Attac-Québec
*François Vaudreuil, président de la Centrale des Syndicats Démocratiques (CSD)
*Véronique Laflamme, Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics
*Jacques Létourneau, président de la Confédération des Syndicats Nationaux (CSN)
*Suzanne Audette, 2e vice-présidente du Conseil central du Montréal métropolitain (CCMM-CSN)
*Alexa Conradi, présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ)
*Régine Laurent, présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ)
*Daniel Boyer, secrétaire général de la Fédération des Travailleurs et Travailleuses du Québec (FTQ)
*François Saillant, coordonnateur du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU)
*Dominique Peschard, président de la Ligue des droits et libertés
*Angèle Laroche, présidente de L’R des centres de femmes du Québec
*Caroline Toupin, Mouvement d’éducation populaire et d’action communautaire du Québec (MÉPACQ)
*Vania Wright-Larin, Regroupement d’éducation populaire en action communautaire des régions de Québec et Chaudière-Appalaches (RÉPAC 03-12)
*Bruno Massé, coordonnateur général du Réseau québécois des Groupes écologistes (RQGE)
*Denis Bolduc, secrétaire général du Syndicat canadien de la Fonction publique Québec (SCFP-Québec)
*France Latreille, directrice de l’Union des Consommateurs
*Benoît Girouard, président de l’Union paysanne



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