Selon la deuxième édition bonifiée du rapport "Marchander la démocratie", le Canada pourrait se retrouver aux prises avec de nombreuses poursuites lancées par des entreprises en vertu des articles controversés sur la protection des investisseurs contenus dans le projet d’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (AÉCG). Par conséquent, le pouvoir décisionnel des gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux risque de diminuer considérablement.
Des groupes québécois, canadiens et européens ont publié conjointement une étude sur les dangers du mécanisme de règlement des différends investisseur-état (RDIÉ) que renferme l’AÉCG et que le gouvernement Trudeau a maintenant maquillé sous le nom de "Investment Court System" (ICS) ou "Système juridictionnel des investissements" afin de faire croire que son gouvernement se distingue des Conservateurs qui ont négocié l’accord. La ministre du commerce international Chrystia Freeland ose même dire que l’AÉCG est un "accord progressiste". Mais les inquiétudes continuent à être vives des deux côtés de l’Atlantique, et l’opposition se fait entendre, même au sein du Parlement européen et chez plusieurs États membres de l’UE.
Le rapport Marchander la démocratie explique comment l’AÉCG accorde aux entreprises des pouvoirs inédits qui leur permettront de contester les lois et règlements susceptibles de réduire leurs profits. Elles auront en effet un accès exclusif à une justice parallèle par le biais de tribunaux privés. Les tribunaux nationaux seront donc contournés et les citoyens muselés.
« Le règlement des différends investisseur-état vise un objectif très dangereux : retirer aux gouvernements leur pouvoir pour le remettre aux entreprises. Ces règles n’ont rien à voir avec le commerce équitable entre pays. La manière juste et responsable de traiter les différends en matière de politique gouvernementale, c’est de passer par notre système judiciaire public », a souligné le coauteur du rapport et chercheur au Centre canadien des politiques alternatives, Blair Redlin.
Les règles de l’AÉCG vont plus loin que le chapitre 11 de l’ALÉNA, qui a permis à des entreprises américaines et mexicaines de lancer 39 poursuites contre le Canada. Plusieurs ne sont toujours pas réglées. Le Canada a perdu ou réglé hors cour six de ces poursuites, ce qui nous a coûté près de 200 millions de dollars en compensations, ainsi que des millions supplémentaires en frais juridiques. L’AÉCG ouvre la porte aux poursuites des entreprises européennes qui sont responsables de plus de la moitié de toutes les contestations investisseur-état dans le monde, ainsi qu’à celles de sociétés américaines ou canadiennes qui se cachent derrière des filiales européennes.
« En exposant de nouveaux pans de nos politiques publiques aux poursuites des investisseurs étrangers, le règlement des différends investisseur-état de l’AÉCG constitue une menace pour la souveraineté des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. La poursuite de plus de 120 millions de dollars logée par Lone Pine Resources pour contester le moratoire québécois partiel sur la fracturation hydraulique du gaz de schiste illustre bien l’impact financier pour les gouvernements des poursuites lancées en vertu des articles sur la protection des investisseurs. Des fonds publics sont détournés, alors que les mesures d’austérité s’attaquent aux bons emplois et aux services publics », a déclaré le coordonnateur du Réseau québécois sur l’intégration continentale, Pierre-Yves Serinet.
Selon le rapport, les nouveaux articles de l’AÉCG concernant le secteur des services financiers rendent le secteur canadien vulnérable aux contestations, particulièrement à la lumière des vastes investissements européens dans les domaines canadiens de la finance et de l’assurance. Ces articles menacent les mesures qui protègent les consommateurs et celles qui ont gardé le système bancaire canadien à l’abri lors de la dernière crise financière mondiale.
« On ne doit pas accorder aux entreprises un droit de veto sur les politiques gouvernementales qui protègent la santé publique, l’environnement et l’économie locale. Les parlementaires européens sont conscients des dangers de l’AÉCG et ils veulent faire passer les intérêts des citoyens avant ceux des entreprises privées », a soutenu Amélie Canonne, présidente de l’organisation française AITEC.
Les promoteurs de l’Europe, du Canada et des gouvernements provinciaux ont orchestré un battage de relations publiques pour tenter de vendre l’accord et espèrent le signer le 27 octobre 2016 à Bruxelles lors d’un Sommet Canada-UE auquel Justin Trudeau prévoit participer. Mais l’opposition aux clauses investisseur-état bat son plein. Ils étaient près d’un demi-million de personnes dans les rues d’Allemagne, d’Autriche, de Belgique, de Slovaquie pour dire non à l’AÉCG entre le 17 et le 22 septembre. D’autres mobilisations majeures sont prévues en France et en Espagne le 15 octobre.
« Les règles investisseur-état de l’AÉCG sont symptomatiques d’un problème beaucoup plus grave : tout cet accord favorise l’entreprise privée au détriment du citoyen. Qu’on parle de prolongation des brevets couvrant les médicaments, ce qui pourrait alourdir la facture d’un milliard de dollars, ou d’ouvrir le lucratif marché de l’approvisionnement municipal aux multinationales européennes, cet accord vise uniquement à augmenter les profits du privé, sans aucun avantage pour la population », a affirmé la présidente nationale du Conseil des Canadiens, Maude Barlow, lors du lancement de la première édition.
Selon le rapport Marchander la démocratie les décideurs des deux côtés de l’Atlantique doivent rejeter toute version de l’AÉCG qui inclura un mécanisme de règlement des différends investisseur-état.