Article publié dans le Huffington Post Québec
Traduit par Pierre-Yves Serinet (RQIC)
par John Jacobs
Chercheur-associé au Centre canadien de politiques alternatives
Il était un temps où le Canada excellait par sa stratégie industrielle, mais aujourd’hui on se satisfait du commerce. Et n’importe quel commerce fait l’affaire. Certains diront que cette approche économique ancienne est morte (ou devrait l’être), suggérant qu’il est futile de vouloir ajouter de la valeur à la chaîne de production destinée à l’exportation - du fer à l’acier, et de l’acier aux avions - parce que « le marché » demande de se spécialiser là où nous sommes les meilleurs. S’il s’agit de pétrole, d’or ou de matières premières, au lieu de pièces automobiles, ainsi soit-il.
Propre aux accords internationaux de commerce comme le Partenariat transpacifique (PTP), dont la conclusion a été annoncée récemment, cette mentalité du laisser-faire explique en grande partie pourquoi la balance commerciale du Canada est déficitaire et s’accroît plus vite avec les partenaires commerciaux avec qui nous avons des traités qu’avec les autres pays. Elle permet aussi de comprendre pourquoi l’intensité des emplois dans nos secteurs d’exportation est en déclin. Aussi, les déclarations du gouvernement selon lesquelles le PTP sera bon pour l’emploi sont de la poudre aux yeux.
La tendance de l’intensité de l’emploi dans le commerce canadien n’est pas reluisante. De 2000 à 2014, la proportion des biens manufacturés canadiens sur le total des exportations a décliné de 64% à 46%, tandis que la part des produits non transformés ou semi-transformés est passée de 30% à 50% sur la même période, le pétrole brut devenant le produit le plus exporté du Canada vers les pays du PTP. Ce phénomène est central, car chaque domaine industriel ne crée pas la même quantité d’emplois.
En effet, on estime que pour chaque milliard de dollars d’exportation, les secteurs d’extraction des matières premières créent 580 emplois directs, tandis que pour le même volume d’exportations du secteur manufacturier, 2 300 emplois sont créés, soit un pouvoir de génération d’emplois 4 fois plus grand. Les données de Statistique Canada indiquent que les produits extractifs comptent pour 21% des biens exportés à valeur ajoutée mais seulement pour 4% de l’emploi, alors que les produits manufacturés contribuent pour 52% des exportations à valeur ajoutée tout en générant 40% des emplois.
Il y a peu d’espoir que le PTP renverse cette tendance à la primarisation de l’économie et ses promoteurs le savent très bien. Mondialement, les tarifs sont aujourd’hui à leur plus bas niveau. Les accords de commerce multilatéraux (OMC) et les accords de libre-échange existants ont fait en sorte que 97% des exportations canadiennes entrent déjà dans les pays du PTP libres de tarifs. Les tarifs qui subsistent sont très bas, et la plupart des économistes évaluent que l’impact du PTP sur la croissance économique du Canada sera négligeable, se situant entre 0% et 0,22% du PIB d’ici 2025. Voilà sans doute pourquoi le gouvernement n’a jamais réalisé et rendu publique une étude d’impact économique avant de sceller un accord à Atlanta.
Bien que la croissance des exportations et des importations seront modestes si le PTP est ratifié, on estime que ces dernières s’accroîtront plus rapidement, creusant encore plus le déficit commercial. Les données actuelles du commerce indiquent que le Canada pourrait faire des gains d’exportation pour les grains oléagineux, le charbon, le cuivre, le porc et le bois, tandis que nos importations augmenteront pour ce qui est des véhicules et des pièces automobiles, des équipements d’imprimerie et de la machinerie lourde. On comprend bien pourquoi les travailleurs canadiens du secteur automobile sont inquiets, ou encore que la compagnie Ford demande expressément au Congrès des États-Unis de s’opposer au PTP.
Les industries extractives ont toujours pris part à l’économie canadienne et cela continuera, mais, historiquement, les gouvernements ont cherché à maintenir un équilibre entre l’exportation de matières premières et un appui actif à la croissance du secteur manufacturier. On pense par exemple aux initiatives pour que l’activité minière génère des retombées pour l’économie canadienne, entre autres en favorisant une plus grande transformation locale des produits avant qu’ils ne soient exportés.
Mais de telles mesures sont interdites par les accords modernes de libre-échange, depuis l’ALÉNA. Le PTP va réduire encore plus la capacité des gouvernements d’adopter des initiatives qui pourraient encourager la diversification de l’économie et stimuler les activités qui génèrent un nombre élevé d’emplois.
Nous avançons à reculons, du moins en termes d’exportations de biens, et nous confinons à être des tailleurs proverbiaux de bois et des porteurs d’eau.
Les groupes d’affaires canadiens taisent cette réalité en insistant sur le succès des exportations canadiennes dans le domaine des services (finances, services aux entreprises, etc.), mais ils peinent à identifier dans quelle mesure le PTP améliorera l’accès des firmes de services aux marchés asiatiques, déjà largement ouverts, ou comment cela favorisera la création d’emplois au pays.
Le Canada exporte des biens qui créent peu d’emplois chez nous, et importent des biens qui en créent beaucoup ailleurs dans le monde ; ce qui est pour une part du déclin des emplois du secteur manufacturier au Canada au cours de la dernière décennie, et qui met en évidence les défis qu’il faut relever à long terme pour créer des emplois et améliorer les salaires.
La volatilité du taux de change, héritée de notre statut de « superpuissance minière et énergétique », a aussi contribué au déclin des emplois manufacturiers. Pour les travailleurs et travailleuses, l’expérience du libre-échange au Canada en est une de stagnation des salaires, d’augmentation des inégalités de revenus, et de niveaux relativement plus élevés de chômage.
À l’instar des autres accords modernes de « libre »-échange, le PTP n’inclut aucune mesure concrète directe pour protéger ou créer des emplois. Au contraire, il menotte les gouvernements et les empêche de mettre de l’avant des politiques industrielles et des mesures actives d’emploi. On présume tout simplement qu’avec une réduction de tarifs et en accordant des protections accrues aux investisseurs, les emplois suivront. C’est le crédo dominant selon lequel les entreprises, et non pas les gouvernements, doivent jouir d’une totale liberté pour décider quand, où et comment produire des biens et des services. Pourtant, l’histoire récente révèle la médiocre performance des entreprises au moment de transposer cette liberté en emplois ou en croissance.
Avec le PTP, ce n’est pas d’échanges commerciaux dont il s’agit, tout compte fait, et encore moins de l’amélioration de la prospérité des Canadiennes et Canadiens. L’élite canadienne du monde des affaires trouve ailleurs les raisons de se réjouir. L’accord permettrait d’enchâsser leur rôle en tant que moteurs de l’économie canadienne et de « constitutionnaliser » leurs droits à faire des profits par l’exploitation des ressources du Canada.
Pour le reste de la population, accepter le PTP aura un effet désastreux à long terme sur les aspirations au plein emploi et à la prospérité économique, et sur la possibilité de la société de gérer l’économie de façon durable.