(OTTAWA ET MONTRÉAL, 19 nov. 2014) - Selon un nouveau rapport, le Canada pourrait se retrouver aux prises avec de nombreuses poursuites lancées par des entreprises en vertu des articles controversés sur la protection des investisseurs contenus dans le projet d’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (AÉCG). Par conséquent, le pouvoir décisionnel des gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux risque de diminuer considérablement.
Des groupes québécois, canadiens et européens ont publié conjointement une étude sur les dangers du mécanisme de règlement des différends investisseur-état (RDIÉ) que renferme l’AÉCG. Les inquiétudes qu’il suscite sont de plus en plus vives au sein du Parlement européen comme au sein de l’Union européenne qui compte 28 pays membres.
Le rapport Marchander la démocratie explique comment l’AÉCG accorde aux entreprises des pouvoirs inédits qui leur permettront de contester les lois et règlements susceptibles de réduire leurs profits. Elles auront en effet un accès exclusif à des tribunaux privés. Les tribunaux nationaux seront donc contournés et les citoyens muselés.
« Le règlement des différends investisseur-état vise un objectif très dangereux : retirer aux gouvernements leur pouvoir pour le remettre aux entreprises. Ces règles n’ont rien à voir avec le commerce équitable entre pays. La manière juste et responsable de traiter les différends en matière de politique gouvernementale, c’est de passer par notre système judiciaire public », a souligné le coauteur du rapport et chercheur au Centre canadien des politiques alternatives, Blair Redlin.
Les règles de l’AÉCG vont plus loin que le chapitre 11 de l’ALÉNA, qui a permis à des entreprises américaines et mexicaines de lancer 35 poursuites contre le Canada. Plusieurs ne sont toujours pas réglées. Le Canada a perdu ou réglé hors cour six de ces poursuites, ce qui nous a coûté plus de 170 millions de dollars en compensations, ainsi que des millions supplémentaires en frais juridiques. L’AÉCG ouvre la porte aux poursuites des entreprises européennes qui sont responsables de plus de la moitié de toutes les contestations investisseur-état dans le monde, ainsi qu’à celles de sociétés américaines ou canadiennes qui se cachent derrière des filiales européennes.
« En rendant de nouveaux pans de nos politiques publiques sujets aux poursuites des investisseurs étrangers, le règlement des différends investisseur-état de l’AÉCG constitue une menace pour la souveraineté des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. La poursuite de 250 millions de dollars logée par Lone Pine Resources pour contester le moratoire québécois sur la fracturation hydraulique du gaz de schiste illustre bien l’impact financier pour les gouvernements des poursuites lancées en vertu des articles sur la protection des investisseurs. Des fonds publics sont détournés, alors que les mesures d’austérité s’attaquent aux bons emplois et aux services publics », a déclaré le coordonnateur du Réseau québécois sur l’intégration continentale, Pierre-Yves Serinet.
Selon le rapport, les nouveaux articles de l’AÉCG concernant le secteur des services financiers rendent le secteur canadien vulnérable aux contestations, particulièrement à la lumière des vastes investissements européens dans les domaines canadiens de la finance et de l’assurance. Ces articles menacent les mesures qui protègent les consommateurs et celles qui ont gardé le système bancaire canadien à l’abri lors de la dernière crise financière mondiale.
« On ne doit pas accorder aux entreprises un droit de veto sur les politiques gouvernementales qui protègent la santé publique, l’environnement et l’économie locale. Les parlementaires européens sont conscients des dangers de l’AÉCG et ils veulent faire passer les intérêts des citoyens avant ceux des entreprises privées », a soutenu le président national du Syndicat canadien de la fonction publique, Paul Moist.
Les représentants de l’Europe, du Canada et des gouvernements provinciaux aimeraient faire croire que le sort de l’AÉCG est scellé, mais l’opposition aux clauses investisseur-état s’organise. Il reste encore au moins 18 mois avant la ratification de cet accord.
« Les règles investisseur-état de l’AÉCG sont symptomatiques d’un problème beaucoup plus grave : tout cet accord favorise l’entreprise privée au détriment du citoyen. Qu’on parle de prolongation des brevets couvrant les médicaments, ce qui pourrait alourdir la facture d’un milliard de dollars, ou d’ouvrir le lucratif marché de l’approvisionnement municipal aux multinationales européennes, cet accord vise uniquement à augmenter les profits du privé, sans aucun avantage pour la population », a affirmé la présidente nationale du Conseil des Canadiens, Maude Barlow.
Selon le rapport Marchander la démocratie les décideurs des deux côtés de l’Atlantique doivent rejeter toute version de l’AÉCG qui inclura un mécanisme de règlement des différends investisseur-état.
Les auteurs de Marchander la démocratie sont Blair Redlin du Centre canadien des politiques alternatives, Pia Eberhardt de Corporate Europe Observatory et Cécile Toubeau de l’ONG européenne Transport & Environment. Ce rapport est publié conjointement par près d’une vingtaine d’organismes syndicaux et de la société civile, dont le SCFP, le Conseil des Canadiens, le Centre canadien des politiques alternatives, le Réseau pour le commerce juste et le Réseau québécois sur l’intégration continentale.
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